mardi 7 juin 2016

100 jours, 100 textes : Soulager


27 avril 2016 
Soulager

"C'est le dernier pour ce soir, Aloïs. Tu veux de l'eau ou quelque ch...
- Non. Non c'est bon. Fais-le entrer.

Emeric sort de la pièce pour aller chercher le dernier patient de la journée. Je m'effondre au sol dès qu'il a passé la porte.
Mes mains tremblent de façon incontrôlable, pas juste des tressaillements mais de vrais soubresauts violents, en continu. Il faut que je dorme. Plus qu'un et je dors.


Rampant presque, je me traine jusqu'au canapé trônant au milieu de la pièce. Il est déjà plus qu'abîmé, surement récupéré d'une maison inhabitée lors d'un raid. Mes doigts se cramponnent à l'accoudoir, s'enfoncent dans le cuir marron tout râpé. Prenant appui d'un coté sur le meuble et de l'autre sur la table, je parviens à me hisser sur le canapé. Le moelleux des coussins est le bienvenu mais ne calme pas les violentes secousses me parcourant le corps. Une nuit de sommeil complète. De l'eau. Après ça ira surement mieux.
J'essaie de me souvenir de quand date mon dernier vrai repas. Ai-je mangé aujourd'hui ? Ce matin, probablement. Ce midi c'est sur que non, il y avait une urgence. "Il faut la calmer Aloïs, elle souffre trop, je ne peux pas la soigner tant qu'elle s'agite comme ça !" C'est vrai qu'elle souffrait beaucoup, des litres et des litres de douleur glaciale qui s'étaient déversés dans mes veines dès que j'avais touché la patiente. Elle n'avait pas survécu. Je l'avais sentie partir, étalée sur la table d'opération. La douleur avait cessé brutalement, laissant la place à un grand vide.
Ça arrivait parfois. Les patients mourraient sous mes mains et c'était comme si je gardais pour toujours en moi l'empreinte de leur douleur, leur dernière sensation, marquée au fer rouge dans ma chair.
Ma capacité était un don pour les autres, pour les combattants blessés et les estropiés et ceux qui ne guériraient jamais. Pour moi, elle tenait davantage de la malédiction. Pouvoir soulager le monde de sa douleur... uniquement en acceptant de l'endosser. Subir les amputations et les opérations à cœur ouvert, les cancers qui rongent de l'intérieur et les migraines d'une violence inouïe. Mais pouvoir les soulager, eux.
Permettre aux gens plus importants de retourner à leur poste, de retourner au combat, de retourner près de leurs enfants...
Un coup sec à la porte.
- Aloïs ! Il est là, es-tu prêt ?
Je prends une grand respiration et pose mes mains à plat sur mes genoux pour les stabiliser.
- ... Bien sûr. Fais-le entrer."


[Le 19 avril 2016, je me suis lancée dans un challenge nommé #the100dayproject. 
Le but du challenge est de produire quelque chose, chaque jour, pendant 100 jours.  
Alors j'ai décidé que tous les jours, pendant 100 jours, j'allais choisir un mot et écrire un texte dans mon carnet. 
Peu importe s'il faisait 3 lignes ou 3 pages.

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