mardi 24 mai 2011

Hanging by a moment



        Penchée à ma fenêtre, je tente d'attraper la moindre brise d'air nocturne qui serait venue se perdre ici. Le mois d'août bat son plein à Crossroads, petite ville perdue entre le Nouveau Mexique et le Texas, plongeant les habitants dans la torpeur la plus complète. Toute la journée, je regarde les adultes se déplacer au ralenti, comme si l'air s'était changé en pudding.
Regarder les gens dehors... depuis deux semaines je n'ai que ça à faire. 
        Je ne suis pas vraiment consignée dans ma chambre. Mes parents m'ont juste fortement déconseillé de sortir sans eux ou une de mes sœurs pour chaperonner. Megan et les parents travaillent toute la journée, et Sara fait un stage à Austin. Je suis toute seule à la maison. Mes journées sont donc très longues. Et particulièrement étouffantes. Mon jeu préféré est devenu "Comment créer un maximum de courants d'air dans la maison".
        Je pense que l'information de ma détention a été transmise aux parents de mes amis. Même la curiosité n'a pas réussi à les amener jusqu'à ma porte. Ils ne me manquent pas tant que ça, décidé-je en me laissant tomber sur mon lit, m'éventant avec un livre ouvert.

        Mon incarcération à la prison "Chambre d'Ali" mise à part, je suis sur un petit nuage. L'attente de la rentrée me parait facile quand on voit ce que je gagne en retour. Dans à peine un mois, les cours vont reprendre et il faudra bien que mes parents me laissent aller au lycée. Que je puisse sortir de la maison. Je pourrai enfin le revoir.
        Même si je hais cette punition de toute mon âme, je comprends mes parents. Je suppose que si ma fille de dix-sept ans disparaissait un beau matin en laissant un "Je suis avec Gavin. On part faire un tour." pour ne revenir que trois semaines plus tard, je serais très énervée aussi.  
        Sur le coup, partir à l'aventure ensemble nous avait semblé une idée géniale. On pensait faire l'aller-retour jusqu'à Roswell dans la journée et revenir avec des peluches extraterrestres en souvenir. Et puis, une fois arrivés, j'avais fait une remarque sur le fait que je n'avais jamais mis les pieds à Santa Fe et on avait décidé de pousser jusque là-bas et de revenir le lendemain. Mais aucun de nous n'avait envie de rentrer... Au final, la route avait parue bien courte jusqu'à Las Vegas et Elvis avait été peu regardant quant à ma date de naissance. Dix-huit ans dans quatre mois, la belle affaire.
        Bien sûr, une fois de retour à Crossroads après plusieurs jours à visiter Vegas, le son de cloche avait été différent. Nos parents nous étaient tombé dessus à peine la pancarte de la ville passée et il ne leur avait pas fallu longtemps pour remarquer les bagues en toc à nos mains gauches.
Je pense honnêtement qu'on avait dû entendre ma mère hurler jusqu'en Floride.

        Depuis, je suis sous garde rapprochée à la maison et mon portable m'a été confisqué. Je ne râle pas et je ne boude pas, je prends mon mal en patience. Le mariage a été annulé, mes parents ayant fait valoir mon âge. Mais au final, ça n'y change rien. Je porte quand même mon alliance de pacotille, j'ai quand même été mariée pendant quelques jours. 

Et surtout... les souvenirs.

        Quand je ferme les yeux, je sens encore le vent qui fouette mon visage et emmêle mes cheveux. Je peux voir les nuages de poussières dans le rétroviseur, les kilomètres de route dans ce paysage désertique et les lumières aveuglantes de Vegas. Gavin qui somnole dans un motel, qui se bat avec le toit ouvrant de sa vieille Jeep, qui sourit dans son costume de location. Je ne suis pas idiote, on va grandir, vieillir, changer. Il y a de fortes chances pour qu'on ne soit plus ensemble d'ici quelques années. Mais chaque instant de ces trois semaines reste gravé dans ma mémoire, j'emporterai ces souvenirs avec moi partout où j'irai...

        Je suis interrompue dans mes pensées par un caillou atterrissant sur la moquette de ma chambre. Qu'est-ce que... ? Je me lève et traverse la chambre à tâtons, ne voulant pas allumer la lumière. Je passe la tête par la fenêtre et réagis juste assez vite pour éviter une seconde pierre.
     - Tu essaies de me lapider? chuchoté-je au jeune homme un étage plus bas.
     - Oh merde Ali, la fenêtre était ouverte? Désolé, j'avais pas vu!
Gavin me fait un grand sourire en relâchant la poignée de petits cailloux qu'il avait ramassée. Dans la pénombre, j'aperçois la bague à son annulaire. Il l'a gardée lui aussi.
     - Tu n'es pas assigné à résidence toi?
     - Si, mais ma chambre à moi est au rez-de-chaussée. Plus facile pour tenter une évas... Oh, je crois que tes parents viennent dans le salon!
Gavin s'accroupit, les yeux rivés vers l'intérieur de ma maison. Megan est sûrement rentrée du travail et ils vont m'appeler pour passer à table.
     - Ali, je vais pas pouvoir rester mais... Mes parents m'ont dit aujourd'hui, pour l'annulation...
Il a l'air contrarié et se frotte la nuque. De temps en temps il jette un œil sur mon salon.
     - Je voulais juste te dire que, ça ne change rien. D'accord?
     - ... Je sais, dis-je en agitant ma main gauche pour qu'il puisse la voir. Ça ne change rien.
        Il me lance un superbe sourire qui s'efface bien vite lorsqu'il voit quelque chose à travers la vitre et se met à détaller vers la rue. Le raclement de la fenêtre du salon qui s'ouvre me fait rentrer bien vite dans ma chambre.
Du rez-de-chaussée, j'entends la voix de mon père hurler mon nom. Je vais probablement passer un sale quart d'heure, me dis-je en dévalant l'escalier, mais peu importe. Peu importe la paperasse, les punitions et les engueulades. Les sentiments sont réels, les souvenirs restent et à quatre rues d'ici Gavin pense la même chose que moi.

        Ça ne change rien.



[Bon, après moult galèrage, le texte joyeux est là. 
Ceux qui verront l'influence d'une certaine série télé des années 90 auront gagné mon respect.]

5 commentaires:

Félix a dit…

La musique se marie parfaitement au texte, les personnages et l'histoire sont fascinants.
Merci pour ce texte magnifique. Par contre je n'ai absolument pas vu le lien avec la fameuse série télé.

Odul a dit…

Une fois de plus j'aime. Parisien depuis peu, je repense souvent à renoncer aux marguerites en flânant dans les cimetières du Père Lachaise et de Montmartre.

Merci pour l'ajout d'atmosphère.

Pauline a dit…

Très sympa! Je découvre à l'instant ton blog. Bien écrit!! Quelques petites fautes de conjugaison ou d'orthographe (ex: décidé-je / décidais-je, des petits trucs comme ça) mais on prend plaisir à te lire. La référence est à la série Roswell? Liz et Max? ; )

Nine a dit…

@Pauline: Et nous avons une gagnante pour le jeu de la fameuse série! Merci pour les compliments, venant de toi ça me fait d'autant plus plaisir (sachant que j'ai commencé à parcourir ton blog mais que je n'ai pas eu le temps de commenter pour l'instant ^^).
Et après vérification, c'est bien décidé-je au présent, la version inversée de "je décide", mais merci d'avoir soulevé ce point, moi aussi je trouve que ça sonne bizarrement...
A bientôt!

Pauline a dit…

Tu m'en vois confuse! J'écris toujours à l'imparfait. J'ai donc assumé que... Mais c'est bon à savoir!! Effectivement, ça fait un peu bizarre ; )