jeudi 22 mai 2008
Ne doute jamais de mon amour.
La pluie a cessé il y a plusieurs minutes.
Nos vêtements de circonstance sont trempés et, sous nos pieds, la terre semble exhaler une respiration humide et chaude. Le sol respire, lui. Quelle ironie.
Ton père s'est brutalement arrêté de pleurer dès que les gouttes ont cessé de cacher ses larmes. Il est de ces hommes qui dissimulent leur faiblesse sous une carapace de froideur.
Moi aussi, je sais pertinemment que l'eau suspendue à mes cils ne vient pas du ciel.
Je peux quasiment entendre ta voix murmurer à mon oreille...
"Tu as le droit de pleurer. Ce n'est pas une faiblesse.
-Je ne veux pas pleurer.
-J'aimerais qu'il pleuve, ce jour-là..."
S'il y a un Dieu, il t'a entendu, car c'est de l'herbe humide que le prêtre asticote du bout de sa chaussure. J'aimerais tant qu'il cesse de réciter sa litanie chiante à mourir et qu'il nous laisse en paix. Que tout le monde parte, ta famille, la mienne, et nous laisse tranquillement nous dire adieu.
"Ce ne sont pas des adieux, Rémy. Il existe un monde paisible où nous nous retrouverons après cette vie.
-Je ne crois plus en Dieu depuis longtemps, Juliette.
-Fais semblant d'y croire. Pour moi. Quand je serai partie, tu pourras arrêter, promis."
D'accord, pas des adieux. Me laisser te dire au revoir, alors.
Les souvenirs de nos discussions passées me hantent alors que le prêtre entame d'un ton monocorde la lecture d'un passage de la Bible.
Il faudrait qu'il se remette à pleuvoir: ça ferait accélérer l'oraison et tout le monde se dépêcherait de rentrer au sec et de se rassembler autour d'un bon buffet comme nos mères savent les organiser. C'est vrai que mes parents sont passés maîtres dans l'art de la réception post-enterrement. Mondains jusqu'à la mort.
Il faut vraiment que j'arrête l'humour noir, on dirait toi...
"Tu crois qu'ils feront une fiesta, après?
-...
-Oh, ça va! Ne me fais pas cette tête là! On ne va pas commencer à chialer maintenant! Alors? Un buffet et du champagne ou plutôt grosse orgie autour de la piscine?
-Juliette! Bordel, sois un peu sérieuse!
-Arrête de faire le vieux con, Rémy! J'essaie de dédramatiser là!"
Dédramatiser, mais bien sûr. Comment dédramatiser la mort?
"... te confions notre sœur, Juliette. Accueille-la parmi les anges du Paradis, demeure éternelle de..."
Bon, au moins c'est bientôt fini.
Comme si le ciel m'avait entendu, un énorme coup de tonnerre fait soudainement sursauter l'assemblée. Ma mère échappe même un petit cri, et se cramponne au bras de mon père.
Le curé lève un œil sceptique vers le ciel et saute au moins deux paragraphes du blabla habituel. Je m'y connais en enterrement.
"Tu feras un petit speech?
-Non.
-Je m'en doutais... Tu sais que mes parents savent déjà ce qui sera gravé sur la tombe? 'Fille aimée, sœur dévouée, amie fidèle'. Sympa, non?
-Je ferai graver quelque chose d'autre sur la pierre...
-Ah oui? Quoi?"
Ça y est, c'est enfin fini. La pluie battante et l'orage grondant ont eu raison des derniers récalcitrants. Même les mecs des pompes funèbres sont partis s'abriter dans leur voiture. Mes chaussures sont trempées et l'eau ruisselle le long de ma nuque.
Je reste seul devant ce grand trou, bouché par des planches. Seul avec ce qu'il reste de toi, caché dans cette boîte.
Et derrière la montagne de fleurs, recouvrant planches et pierre tombale, je devine cette inscription:
"Ne doute jamais de mon amour"
[Et oui, encore un nouveau personnage: Rémy. Celui dont je me sens le moins proche et celui sur lequel j'écris le moins, mais parfois l'inspiration vient et...
Encore une fois, merci à Jacob et Jaja pour leurs corrections, leur avis et leurs conseils.]
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6 commentaires:
Je sais que je radote mais... c'est magnifique! [insertsmileyRHOOOhere]
Merde, pourquoi on peut pas faver sur un blog? Bon, jvais attendre que tu le postes sur DA alors...
Comme dit, j'aime beaucoup l'ambiance.
Et tu as des correcteurs fantastiques, de bon goût et d'une efficacité sans faille.
meuh dis donc, c'est que t'écris bien tite vachette!
non la musique n'est pas sinistre, j'aime beaucoup même. Et le texte aussi. Et en fait ça va super bien ensemble à mon propre avis personnel et tout ce qu'il y a de plus subjectif.
Juste un truc : "Ma mère échappe même un petit cri" me choque syntaxico-grammaticalement vu que c'est un verbe intransitif tu peux pas enchaîner sur un complément d'objet, il manque un truc
je crois
ça n'engage que moi
je dis ça je dis rien
@ Lu: Dis donc, espèce de Poush à chapeau blanc! J't'y prends à trainer sur mon blog!
Bref, plus sérieusement, il me semble avoir plusieurs fois croisé cette tournure de phrase avec 'échapper'. Mais au pire je changerai. Merci ^^
Texte très efficace, oui, ça pourrait être le mot. Quant à la tournure, avec les explications de Lyu, effectivement on se dit "zut" alors qu'en même temps, oui, la tournure est familière. Donc ma petite tête se demande si la tournure qui t'est familière n'est pas plutôt celle donnant : ma mère laisse même échapper un petit cri ?
Oui, plus je relis ta version plus ça me semble bizarre à vrai dire ^^
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