lundi 2 juin 2008

"Vivante..."



"Putain!"
Je trébuche sur un cordage et m'étale lamentablement derrière une caisse en bois. Tenant mon avant-bras gauche avec ma main droite, je rampe jusqu'à être abritée derrière une autre caisse, légèrement plus haute.
Bordel que ça fait mal!
Je me redresse en position assise en m'aidant de mes pieds. Le talon de l'une de mes bottes racle dans une flaque et je manque à nouveau de m'affaler. Par réflexe, je prends appui sur ma main gauche. La décharge brûlante qui remonte alors mon bras manque de m'arracher un hurlement que je réprime en me mordant furieusement la lèvre.
Tentant de reprendre mon souffle, je m'adosse à la caisse et cherche des yeux mon flingue. Je l'ai sûrement fait tomber en trébuchant. Il est là, à découvert, à côté d'une sorte de boîte à outils.
Je considère un instant l'idée de le laisser là et de fuir sans... Non, c'est un mauvais plan, ils sont plus nombreux, valides et mieux armés. Il me faut au moins une arme.
J'essaie de l'atteindre du bout de ma chaussure, mais ma perception des distances doit en avoir pris un coup dans ma chute car il manque au moins un mètre, dont largement quatre-vingt centimètres à découvert... Je n'ai pas trop le choix. Laissant mon bras blessé pendre dans le vide, je rampe jusqu'à la limite de ma cachette. Allez, Katia, même pas un mètre, c'est pas la mort... sauf si quelqu'un me repère. Fermant les yeux, j'inspire un grand coup et tente de me concentrer. J'entends les chaînes au plafond grincer dans leur poulie, le bruit des vagues au loin et, plus près, les dockers qui jurent et chantent. Puis je perçois ces bruits. Les talons qui claquent sur le béton, les ordres donnés à la va-vite, les hommes qui soufflent fort en courant. Ils seront là dans quelques secondes.
Prenant une grande bouffée d'air et espérant que ce ne soit pas ma dernière, je plonge à découvert pour saisir mon flingue. Ma main gauche étant hors-service, je heurte durement le sol mais je finis par poser les doigts sur la crosse. A l'instant précis où mon index se glisse dans la gâchette, l'énorme porte en fer au fond du hangar glisse sur ses rails avec un bruit assourdissant. La lumière provenant de l'intérieur du bâtiment collé à l'entrepôt illumine mon visage et je distingue alors mes 'fans' se découpant à contre-jour.
En essayant d'être le plus discrète possible, je pousse sur mes deux coudes en serrant les dents, tout en me tirant en arrière avec les genoux. Je viens de ruiner ma veste en cuir, mais je suis finalement cachée dans l'ombre de la caisse.
Au moins, mes quelques secondes à découvert m'ont apporté des informations. Ils ne sont plus que quatre, donc j'ai dû au moins en blesser deux en plus de celui que j'ai tué. C'est déjà ça.
De plus, je suis bien plus près du port que je ne l'imaginais, et, garée à quelques dizaines de mètres de moi, ma voiture attend patiemment que je revienne. Je ne sais pas comment j'ai fait pour ne pas la remarquer avant, c'est sûrement dû à sa couleur, mais j'espère que mes 'groupies' ne l'ont pas vue non plus.

"Volodya, à gauche! Yevgeniy, tu prends à droite! Rad', tu viens avec moi! On va coincer cette salope... TU ENTENDS, SALOPE!?! ON VA TE TROUVER ET ON VA TE FAIRE TA FÊTE, POUFFIASSE!"

Mais oui Irminoff, je t'entends, connard. Et je préfèrerais me tirer une balle dans la tête plutôt que tu me touches, gros porc...
Bref, ce n'est pas vraiment le moment idéal pour se jeter sur cette raclure de l'humanité afin de le renvoyer at padres, je me vengerai une autre fois. Donc, le plan pour l'instant c'est de me traîner discrètement jusqu'à la voiture, d'ouvrir la portière, de me glisser au volant et de démarrer, le tout sans me faire repérer... Plus facile à dire qu'à faire.
Une nouvelle vague de douleur me remonte le bras alors que je me tasse un peu plus contre mon abri en bois. A quelques mètres de moi, Yevgeniy balaie le sol de sa lampe torche en tapant contre les caisses avec la crosse de son fusil. Je suis dans la merde. De ces quatre couillons, il fallait que ce soit celui-là qui me tombe dessus... J'ai travaillé avec Yevgeniy à l'époque où nous avions le même patron et, s'il n'est pas bien méchant, il est très loyal. Loyal et vif. Je n'ai plus qu'à prier pour qu'il passe sans me remarquer. Evidemment je ne prie pas, c'est inutile. Maman priait souvent, et ça ne l'a pas sauvée.
Yevgeniy n'est plus qu'à un mètre de moi, encore un pas et sa lampe illuminera ma cachette. Je n'ai pas le temps de fuir... Rassemblant mes forces, je me redresse sur mes talons, prête à lui coller un coup de boule et à tenter ma chance en courant vers les docks. Le faisceau est à quelques centimètres de moi quand un cri détourne l'attention de mon limier.

"Eh! Vous! Qu'est-ce que vous faites là?! C'est un entrepôt privé!"

Un docker taillé comme une armoire à glace et armé d'une sorte de grosse masse vient d'entrer dans le hangar et harangue Volodya tout en surveillant les autres du coin de l'œil. Au premier regard je vois que ce mec est sobre, rapide et sait se servir de cette masse. Il se tient directement entre la voiture, mes 'groupies' et moi.
C'est ma chance.

Retenant mon souffle, je cours le plus silencieusement possible jusqu'à un gros container tandis qu'Irminoff s'engueule avec le docker sous les regards ahuris de ses toutous. Je ne suis plus qu'à une trentaine de mètres de l'entrée. Je me faufile entre plusieurs grosses caisses, mon bras valide tenant celui blessé. L'espace entre les containers est restreint et je me guide au son de la dispute pour ne pas tomber face à face avec Irminoff en sortant de ce dédale. Je débouche enfin entre deux parois métalliques. A une vingtaine de mètres de là, Irminoff vocifère contre le pauvre docker qui ne se démonte pas. Contre le mur du fond, ma voiture m'attend patiemment non loin de la seule porte du hangar ouverte donnant sur les quais.
Ils sont distraits, si je cours jusqu'aux cordages là-bas et que... Non, mauvaise idée, la lumière venant du port va me trahir... Mais il n'y a pas trente-six solutions, il faut que je passe derrière le docker et donc entre eux et la porte pour atteindre la voiture. La portière n'est même pas verrouillée, j'aurai juste à l'ouvrir et à me mettre au volant.
Armoire à glace a sûrement appelé du renfort car j'entends par-dessus les insultes plusieurs voix d'hommes provenant de l'entrée par laquelle Irminoff et compagnie ont débarqué tout à l'heure. S'il y a un Dieu, il est avec moi ce soir.
En effet, quelques secondes plus tard, cinq autres dockers, eux aussi bien bâtis et armés pénètrent l'entrepôt avec l'air d'être prêts à en découdre.
Je saisis ma chance tandis que les deux groupes s'expliquent, forçant les quatre crétins à me tourner le dos. Je cours de toutes mes forces jusqu'à la voiture, tentant de me fondre dans les ombres.

Elle n'était pas si loin que ça, me dis-je une fois accroupie à côté de la portière conducteur, attendant à découvert que le ton monte entre les hommes pour ne pas attirer l'attention en tirant sur la poignée. Soudain, Radoslav, ce gros débile, bouscule l'un des dockers qui s'approchait apparemment trop près d'Irminoff. Une bagarre éclate et j'ouvre alors la porte et prends place derrière le volant, penchée en avant et tassée sur le siège pour ne pas me faire remarquer à contre-jour. Je n'ai pas fermé la portière pour ne pas les attirer avec le bruit et je cherche à tâtons mes clefs dans les poches de ma veste. Le porte-clefs semble coincé dans la doublure.
Légèrement paniquée, je relève la tête pour voir où en est l'échauffourée et m'aperçois alors que, si les autres continuent à s'engueuler, Volodya regarde maintenant carrément dans ma direction. Il a dû repérer la voiture.
"Putain de merde!" m'exclamé-je en tirant un grand coup sur les clefs. Ma doublure se déchire dans un bruit sinistre (décidément, ma veste est foutue) et, les mains tremblantes, j'insère la clef dans le contact de l'auto. Volodya s'est séparé du groupe d'hommes et avance dans ma direction, arme au poing. Il serait temps de mettre les voiles.
Préparant mes pieds sur les pédales et ma main blessée sur le volant, j'inspire un grand coup. Je n'aurai pas de deuxième chance, ce coup-ci.
Mes poursuivants et les dockers ont apparemment arrêté de se disputer et Irminoff gueule maintenant à Volodya de lui expliquer ce qu'il fout.
Maintenant ou jamais, ma grande. "Pas le moment de caler", marmonné-je dans un sourire en tournant brusquement la clef.

Le moteur rugit, je passe immédiatement la première et enfonce la pédale de l'accélérateur, couchée sur le volant pour éviter les coups de feu.
Les balles pleuvent. Les dockers regardent la voiture et les mafieux, leurs yeux passant de l'un aux autres, l'air totalement abasourdis. Irminoff gueule comme un putois et Radoslav, fusil en main, court vers la voiture.
Tout se passe en une demi seconde.

La bagnole se met soudain en mouvement. Je braque à fond en criant tant mon bras me fait mal et fais un demi-tour quasiment en sur-place. Mon pare-brise arrière explose soudain et je crains qu'il ne leur vienne à l'idée de crever mes pneus. Je passe brutalement la seconde et la voiture sort en trombe par la grande porte donnant sur les docks, sous une averse de balles.
Les pneus crissent sur le bitume quand je braque à nouveau pour éviter de me jeter dans le port. Derrière moi, Irminoff et ses sous-fifres m'insultent tout en continuant à m'arroser de plomb. Une balle frôle ma joue et traverse le pare-brise avant qui se fissure dans un motif de toile d'araignée. Je ne vois plus la route à cause du verre craquelé et, n'ayant pas envie de finir la nuit en rade de Saint-Petersbourg, je décide de finir le pare-brise. Tenant tant bien que mal le volant de la main gauche, je saisis mon flingue par le canon et défonce ce qu'il reste du pare-brise à coups de crosse. Je ne ferme même pas les yeux alors que le verre m'entaille les mains et me tombe sur les genoux. Je sors du port 'à fond de cales'. J'éclate de rire en jetant l'arme sur le siège passager.

Une fois arrivée sur le pont qui surplombe le port, je secoue ma main droite pour enlever les tessons de verre plantés dedans et j'allume la radio.
Une présentatrice souhaite une bonne nuit à tous les couche-tard et promet à ceux qui ont encore une longue nuit de labeur devant eux de les accompagner en musique.
Je ne me rends même pas compte des larmes de soulagement qui coulent sur mes joues alors que je claque enfin la portière de la voiture qui fonce à toute allure vers Moscou.

De la brume s'échappe d'entre mes lèvres lorsque je murmure dans un souffle incrédule:
"Vivante..."

[Encore un texte sur Katia, qui ne suit pas directement le précédent mais qui reste dans la même optique. Je sais que je suis moins à l'aise avec le mouvement qu'avec le statique donc navrée pour l'absence d'ambiance.
Encore une fois, merci à Jaja, Gaël, Jacob, Florent et Spero.
Trululu!]

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