lundi 21 janvier 2019

La saison des Brises-Roches

Lorsque tu es parti, je ne m'en suis pas tout de suite rendue compte.

Cette saison était toujours la plus dure des six, celle balayée par d'inépuisables bourrasques de cailloux. Les pierres, parfois à peine des grains, parfois galets entiers soulevés sur des kilomètres par les vents, nous giflaient les joues à peine le nez mis dehors.

J'y avais presque perdu mon œil, la première année. Depuis, je redoutais particulièrement la saison des Brises-Roches.

Alors quand je m'étais levée ce jour là et avais vu le compartiment dédié à ton équipement vide, je ne m'étais pas posée de questions. Tu sortais souvent à ma place pour chasser ou trouver du matériel pendant cette saison. Parfois tu n'avais même pas à chasser. Un matin, tu avais trouvé un gros animal inconnu, à quelques mètres de notre porte. Un rocher lui avait fracassé le crâne.

Je savais donc que tu étais parti.
Je ne pensais juste pas que tu étais parti.



A la tombée de la première lune, j'ai commencé à m'inquiéter.
La luminosité allait baisser, et ce n'était pas une bonne idée de traîner dehors de nuit pendant les Brises-Roches.
Le lever de la deuxième lune m'avait trouvée collée à la vitre épaisse de notre porte principale, scrutant l'étendue déserte en fermant mon mauvais œil, essayant désespérément de distinguer ta combinaison blanche parmi la poussière.

J'avais dû m'assoupir. Quand je suis revenue à moi, il faisait grand jour et tu n'étais toujours pas là.
C'est là que le doute m'avait saisie.

J'avais couru en trébuchant à travers notre vieille station. Mes jambes, encore engourdies d'avoir dormi contre la porte, me portaient à peine. Je me suis arrêtée, essoufflée, devant l'entrée de l'ancien poste de contrôle supérieur. Après le crash, nous avions fini par vider la pièce pour la transformer en une sorte de garage.

La porte avait coulissé avec un bruit pneumatique éraillé par les années.
Le pan de mur à ma droite, aux étagères habituellement pleines de conserves en cette période, était étonnamment nu.
En face de moi, une des grandes citernes d'eau recyclée était vide, le tuyau utilisé pour la vidanger pendait encore par le couvercle béant et ruisselait mollement au sol.
Je sentis un sanglot monter du fond de ma gorge. Je n'osais même pas regarder à ma gauche.
Je savais déjà que le module d'exploration ne s'y trouverait plus.

Tu n'étais pas parti. Tu étais parti.
Tu m'avais laissée là.

Avais-tu réussi à contacter quelqu'un ? N'étions-nous pas seuls ?
Ou était-ce juste que tu m'avais sourdement détestée toutes ces années, jusqu'à atteindre un point de non-retour ?

N'étions-nous qu'un mensonge motivé par la survie ?

Je sentais ces questions s'enfouir sous ma peau, nouvelles compagnes. Comme des vers dévorant ma chair pour s'y creuser un espace à eux. Une angoisse indicible, une peur que rien ne pourrait plus calmer. Le négatif de ton amour.

Ton absence était une chose. Mais ne pas savoir était la pire torture.

Pourquoi étais-tu parti ?

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