Genre tu vas picoler seul-e en te disant qu'avec de l'alcool ça passera mieux.
Ce n'est pas tout à fait faux. Pendant un moment tu es confortablement anesthésié-e. Tu te plonges dans la musique. Tu observes les gens accoudés au bar. Tu n'es pas seul-e avec ton téléphone à la main, à scroller sur Twitter, à commenter sur Facebook, à te donner une contenance pour ne pas boire ton verre trop vite. Ca devrait te rassurer mais ça te rend juste triste. Tu ne souhaites ça à personne. A choisir, tu préfèrerais être seul-e à être tout-e seul-e.
Le barman et la barmaid se touchent beaucoup et tu te demandes s'ils couchent ensemble. Ce ne sont pas tes oignons, mais quand même.
Tes années de marketing te disent que si la barmaid connaît ton nom ce n'est pas juste parce que le barman t'aime bien et le lui a dit. C'est parce que le barman a besoin que les gens consomment et reviennent. Et tu es beaucoup plus tenté-e de retourner dans le même bar quand tu as l'impression d'avoir des amis de l'autre côté du comptoir.
Esbroufe totale ou pas ? C'est la question.
Tu ne sauras jamais si les tenanciers ont une vraie sympathie pour toi ou si ce n'est que du business à base de "je t'offre un shot, reviens très vite, bisous".
Par contre, tu sais que tu es sur la pente descendante.
Tu finis les quelques centimètres de bière qui restent. La barmaid te ressert un shot et tu sais que tu ne devrais pas mais tu n'as pas trop de chemin à faire pour rentrer et c'est gratuit et il est servi de toutes façons tu ne vas pas laisser perdre. Tu ne trouves aucun moyen de refuser poliment.
Tu le bois et tu dis au revoir. Les deux de l'autre côté du bar te font un vague sourire, affairés à servir d'autres clients.
Tu rentres chez toi en te demandant si les gens font tous semblant d'aimer d'autres gens pour en tirer quelque chose.
Tu penses aux gens qui sont mariés, ou en couple, et qui n'ont pas à sortir seuls le soir pour ne pas se retrouver dans un appart vide.
Ou peut-être sortent-ils aussi pour ne pas se retrouver dans un appart avec quelqu'un d'autre ?
Tu es en bas de l'escalier et tu ne sais pas si l'idée te fait rire ou si le son bizarre qui vient de t'échapper est un sanglot.
Bref, tu arrives devant ta porte et ta clé peine à trouver la serrure mais tu finis par atterrir dans ta cuisine.
Bon, c'était un sanglot.
Adossé-e à l'évier, tu laisses sortir cette journée de merde, cette année de merde, les années d'avant aussi, la solitude et les gens qui font semblant. Tu les pleures à grosses gouttes et quelle soirée à la con putain onze euros de bières pour se retrouver là.
C'est marrant parce que jusque-là, l'image du personnage de série télé qui se laisse tomber par terre et pleure en vrac sur le sol de la cuisine te paraissait surfaite. Bon, au final ça arrive en vrai. Entre deux sanglots tu adresses des excuses mentales à tou-te-s les scénaristes d'Hollywood que tu as pu critiquer d'un "Non mais faut pas exagérer là non plus...".
Tu te ramasses et te traînes jusqu'à la salle de bain. Tu fais peur à voir. Tu essaies de graver ce visage défait dans un recoin de ta mémoire. Tu te dis de t'en souvenir pour la prochaine fois, que comme ça on ne t'y reprendra plus à picoler jusque parce que ça ne va pas, comme le dernier des alcooliques.
Tu repleures dans la douche, histoire de faire bonne mesure. L'eau te réveille un peu, même si tu ne sens toujours ni ton visage ni tes mains. Tu te demandes comment font les gens qui se prennent une cuite et ramènent un-e inconnu-e pour coucher avec. Sur le moment ça te parait juste super triste mais t'es seul-e et nu-e en train de chialer dans la douche donc qui es-tu pour juger.
Ta mère appelle, tu laisses aller sur messagerie parce que non, clairement, non.
Tu te dis qu'il faudrait écrire ça, pour toutes les prochaines fois où une idée aussi conne te passe par la tête. Tu penses à tous ces gens dont la vie n'est qu'une suite de soirées de ce genre et tu te remets à pleurer parce que putain les pauvres c'est horrible.
Tu te demandes à quoi ressemble une dépression.
La partie responsable de ton cerveau te signale qu'il serait bon d'aller se coucher. Déjà que tu vas avoir une sale tête demain, il faudrait a minima que ton esprit soit en état de fonctionner. Tu as un travail, des responsabilités, et tout ce poids que tu essayais de décharger n'est en fait jamais descendu de tes épaules.
Tu emmerdes la partie responsable de ton cerveau et te laisses tomber sur ton lit.
Tu attends que ça passe.
Tu risques d'attendre longtemps.
[en ce moment, c'est un peu compliqué]
2 commentaires:
Très beau récit qui décrit bien le sentiment de solitude que ressentent ceux qui essayent de s'intégrer en allant au bar prendre quelque bières en espérant réussir à tisser des liens. Une fois les vapeurs d'alcool distillées on se rend compte que ça ne marche pas et qu'on ferai bien d'arrêter... enfin jusqu'au week-end d'après!
En plus d'être bien écrit, c'est très beau et très juste, bravo !
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