mardi 22 septembre 2015

Strangers 10 - M.


Ils essaient d'être discrets.
Ils chuchotent pour ne pas me réveiller, mais je les entends à travers les bippements des machines.
        - ... je comprends. Mais tu sais, il faut se dire qu'elle a vécu une belle vie !

Elle a vécu une belle vie ! Mieux vaut entendre ça que d'être sourde ! Je t'en prendrais un pour taper sur l'autre moi. Mes petits enfants sont là, à murmurer comme s'ils étaient dans la chambre d'un nourrisson. A eux trois ils sont toujours plus jeunes que moi ! Et pourtant les deux autres approuvent leur cousine. "Elle a vécu une belle vie."

Comme si ça justifiait quoi que ce soit. Oui, j'ai derrière moi quelques années formidables, parsemées de magnifiques rencontres, de folles expériences, de décisions hâtives et d'atterrissages en catastrophe. Mamie faisait la fête avec des rock stars, sniffait de la coke et dansait sur les tables. Ce n'est pas pour autant que mamie mérite de mourir.

J'entrouvre les paupières juste assez pour voir mes trois petits enfants, à l'autre bout du lit. La plus jeune est plutôt jolie. Elle me ressemble, donc il doit y avoir un lien de cause à effet. Ils sont jeunes et un peu chiants et partent du principe que j'ai fait mon temps et que si je casse ma pipe maintenant c'est quand même moins grave.
Ils ne savent pas que me sens prête à rempiler pour trois, cinq, douze vies ! Même avec ce corps qui tombe lentement en carafe, j'ai envie de rester.

Mon mari ne m'a jamais autant manqué. Il aurait compris, lui. Compris que ce n'est pas parce que la voiture tombe en rade que le voyage s'arrête. Qu'il y a une différence entre être pris par la mort et cesser de vivre. La Terre est peuplée de corps sans vie qui déambulent en attendant que la machine brise. Moi je suis l'inverse. L'habitante qui refuse obstinément de quitter l'immeuble qui s'effondre.

Je ne veux pas persister à travers ce vague souvenir rock'n'roll que ces gamins garderont de moi.
Je veux vivre.
Viens donc, Faucheuse de mes deux ! Mais sache que si tu veux me faire quitter cette vie, il faudra me faire sortir de force.


[L'inspiration m'a foudroyée la nuit dernière et j'ai pondu ce texte pour la série Strangers en 20 min, au lit avec mon clavier Bluetooth.
J'espère que ça vous a plus ! Et n'oubliez pas que j'utilise vos commentaires pour chauffer mon appart et qu'il commence à faire froid ;) ]


  

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette histoire est géniale, j'ai l'impression de lire les pensées futurs de ma meilleure amie mais c'était amusant et on sent que le personne à de la volonté, ça fait plaisir ! C'est vraiment bien pour une fois de voir une "vieille personne" en personnage principal, entrain de raconter son point de vue de la mort qui reste le même que lorsqu'elle était plus jeune, parce qu'on ne s'arrête pas d'être jeune en grandissant

Silver a dit…

C'est drôle, ce texte résonne comme une réponse à Strangers 9, comme deux pôles opposés. C'est fou comme sur quelques paragraphes à peine, tu arrives à nous faire ressentir les émotions du personnage mis en scène, que ce soit la passion dévorante de cette vieille dame ou "l'apathie" du personnage précédent.

Il parait que lorsqu'on écrit une histoire on parle de soi. Dans ton cas ce concept est fascinant parce qu'il donne lieu à un kaléidoscope de personnalités et de sentiments, et c'est assez fou d'observer une telle richesse.