samedi 23 octobre 2010

Strangers 6 - H.


Je cligne des yeux, un peu désorientée par le soudain manque de luminosité. Mes mains tremblent, mes oreilles sifflent et je crève de soif. Je déteste ce moment...

        Quelqu'un me tripote le dos pour décrocher mon micro et l'assistante me tend un peignoir que j'enfile tant bien que mal. Un courant d'air me frôle et je frissonne si fort que je sens presque mes os s'entrechoquer. On me colle une bouteille d'eau débouchée dans la main et j'en renverse la moitié par terre.
L'adrénaline fuit mon corps, je me transforme en une poupée de chiffon. Mon ouïe me revient lentement. Sam me tape sur l'épaule en me disant qu'on a déchiré, que la salle crie toujours pour un autre rappel. Elle me fixe avec l'air ravi de la fille qui vient de prendre son pied.
Je suis crevée.

        Je remonte le couloir en souriant et hochant la tête quand on me parle. David, notre manager, me tourne autour en me baratinant. "meilleur show de l'année... DVD pour Noël... génial!... prime time demain... premier rang à Galliano..." Je ne l'écoute même plus, il me briefera sur ce que j'ai à faire en temps voulu de toutes façons. Il saute soudain sur la pauvre Sam qui n'avait rien demandé et commence à chanter les louanges de son jeu de ce soir. Bon débarras.
J'arrive devant ma loge; le garde du corps à l'entrée m'ouvre la porte et la renferme au nez d'un journaliste.
Je me laisse tomber sur le sofa et renverse ma tête en arrière, me cognant au mur.
J'adorais ce boulot avant... Enfin, ce n'était pas un boulot, c'était une passion. Sam et moi on s'était battues pour former ce groupe, pour convaincre les maisons de disques, pour faire toujours mieux. Pour devenir des stars.
Maintenant... je suis juste fatiguée.

        Je jette un œil à l'horloge murale. Il est trop tard pour appeler Jessie. Josh doit toujours être debout, mais je veux parler à ma fille, pas à son père. J'ai sacrifié tant de choses pour ça. Pour cette montée d'adrénaline lorsque les lumières t'aveuglent et que la foule hurle. Pas un boulot, une passion.
Une passion qui valait la peine de laisser mon bébé avec mon ex-mari, de vendre cette maison vide, d'entasser ma vie dans une valise.

Et chaque soir, je sors de scène vidée, ayant tout donné à un public d'inconnus. Et chaque soir je me retrouve dans une autre loge, dans une autre ville. Et je me demande à quoi bon.

Mais le lendemain, je tiens la main de Sam en coulisse. Toutes les deux, on écoute la foule scander nos noms.
Alors je ferme les yeux et, la main crispée sur ma guitare, j'avance sous les projecteurs.


[Un texte qui me traînait dans la tête depuis quelques temps.
Humblement dédié aux gens qui ont une passion.]

7 commentaires:

Ice a dit…

Haaa, cette musique de Procol Harum...

Le texte est assez évocateur, la tension, la fatigue, on la sent, dans le peignoir qui vient se coller à la peau trempée de sueur, et puis la fatigue morale, beaucoup. C'est un sujet extrêmement intéressant, finalement, jusqu'où est on prêt à aller pour la "passion."

Félicitations pour tout ça.

KyA a dit…

Comme chacun de tes textes, on ressent bien les choses, les sentiments du personnage.
Et à la fin on se demande si nous aussi on a une passion pour laquelle on serait prêt à tout sacrifier. En tout cas, moi je me le demande.

Joli texte.

Niko a dit…

ah c'est sympa et ca m'a fait penser au dernier texte de Link3r... On sent bien la fatigue et la lassitude dans le rythme de tes phrases mais pas assez l'excitation à la fin.

Nine a dit…

@Ice & KyA: Merci bien!

@Niko: justement, je ne cherchais pas vraiment à montrer l'excitation à la fin, mais la lassitude, la répétition. Le fait qu'elle en a marre mais qu'elle y revient toujours, presque malgré elle ^^

Xavier a dit…

J'ai du mal à identifier si tu es un homme ou une femme, en tout cas tu as fait des textes que je trouve très bien écrits, très lisibles et sensibles, ces derniers temps, dans la série Strangers.
J'ai juste un doute sur un possible manque d'affection chez toi.
Mais je voulais te dire bravo en passant.

Nine a dit…

@ Xavier: Je suis une femme, promis. Merci pour les gentils mots. Je ne pense pas qu'il y ait un manque d'affection chez moi (je suis très bien entourée ^^) mais mes persos sont tous un peu meurtris, oui.

tr2cyann a dit…

J'aime vraiment bien cette histoire. Je l'avais lu hier matin et ça tombait bien car je montais sur scène hier soir avec le groupe ;-) Dans mon cas, le plaisir vient avec le premier accord, les minutes avant de monter sur scène sont épouvantables et je donnerai un poumon pour pouvoir être ailleurs... Par contre, c'est vrai que une fois que c'est parti plus rien ne compte.
@+