lundi 23 juin 2008

L'épave et l'ébauche - Wolfy

Suite à mon article L'épave et l'ébauche, mon ami (et co-Fantosh) Donald, alias Silverwolf, alias Wolfynou, alias Wolfy, alias Sac à puces, alias Pupuce (etc...) a écrit une 'jolie' fin à mon début de texte.
La voici.



Rien d'autre qu'un été Parisien

Univers alternatif : 28 août 2007

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Je ne m’étais jamais imaginée avoir peur de rentrer chez moi. Pas que l’appartement en lui-même soit effrayant; il est tout petit, mal chauffé, trop gris et trop cher mais il ne fait pas peur du tout.
Ce qui me terrifie, c’est ce que je vais trouver à l’intérieur, en poussant la porte.

C’est pour ça que depuis une dizaine de minutes je suis là, assise dos au mur, juste en dessous de l’interrupteur pour la lumière. Je sais que ça fait dix minutes, parce que la lampe s’éteint toutes les deux minutes, et je l’ai déjà rallumée cinq fois.
Dans ces moments là, je suis contente d’habiter au dernier étage sans ascenseur: peu de gens viennent jusqu’à mon palier. Je peux donc profiter tous les soirs de ma demie heure de tremblements incontrôlables et me ronger les ongles en paix.

Il y a deux mois encore, j’aurais passé la porte aussitôt arrivée. Peut-être avec une pointe d’anticipation, mais guère plus. Il déprimait juste un peu.
Là, adossée à mon mur, j’entends l’Ave Maria de Schubert qui glisse sous la porte et fait vibrer le sol. J’ai peur, je suis terrifiée.
Lundi dernier, je suis restée juste cinq minutes la main sur la poignée avant d’enfin entrer. Et je l’ai trouvé prostré sur le sol de la minuscule salle de bain. Il était tombé d’épuisement, il tremblait et convulsait dans son sommeil en tentant de s’éloigner du carrelage glacé.

Et j’ai fermé la porte, incapable d’en supporter d’avantage.
Je ne suis revenue que quelques heures plus tard. Enfin, ma montre m’indiquait à peine quelques minutes, mais le temps n’existait plus, autant donc éviter de jeter le moindre coup d’œil à cet objet maintenant dépassé.
Il s’était réveillé.
C’est à cet instant que j’ai commencé à sentir la peur me dévorer les tripes.

Son visage, habituellement charmeur et souriant, n’était plus qu’une ruine branlante. Rien qu’un masque terne où la mort se dessinait petit à petit, avec la lenteur et la force d’un ouragan approchant. Ses longs cheveux noirs emmêlés pendaient misérablement contre ses tempes et son corps à moitié nu était plus maigre que jamais.
Mais le pire était ce regard.
Perdus dans le vide, semblables aux fenêtres fissurées de ces maisons abandonnées, ses yeux n’étaient pas les siens.

Où était la subtile étincelle dont il avait le secret ? Où était cette lueur qui me prouvait son amour ? Je n’en savais rien. C’était ce qui me terrifiait vraiment. Devoir affronter ce regard mort qui n’était pas le sien.
J’ai été incapable de le prendre dans mes bras, je suis restée face à lui, tétanisée.

Et me voilà, à la porte de mon propre appartement, terrifiée jusqu’à l’âme. Je ne sais pas pourquoi je reste à glander là, je ne trouverai jamais le courage dans ce couloir. Je vais finir par rentrer, terrorisée, et le retrouver mort de fatigue contre un meuble.
Non, je ne trouverai jamais le courage. Pas avec ce qu’il y a dehors.

Voilà deux mois que tout a commencé.
Le début de la fin.
J’aurais pu fuir vers l’Allemagne dans les convois de sécurité envoyés par l’état. Mais c’était impossible. Ronan n’aurait jamais pu voyager dans cet état-là et encore moins revoir d’autres corps.
Nous ne sommes pas seuls, quelques personnes n’ayant pas le cœur de quitter Paris sont encore dans l’immeuble, se terrant, se cachant.
Oui mais se cachant de quoi ?

Une légère secousse ébranle l’immeuble, la lumière s’éteint. Ce n’est pas à cause des deux minutes passées, je l’ai rallumée il y a quelques secondes.
La lumière se rallume. S’éteint. Se rallume. S’éteint. Se rallume.
Le rugissement d’un avion de l’armée me fait sursauter. Une nouvelle bombe explose.

Je me laisse tomber contre la moquette du couloir qui change de couleur selon l’éclairage défaillant. Un râle désespéré me parvient de la porte. Ronan tente de m’appeler. Il a besoin de mon aide. « Anna… Anna ! Tu es là ?... »
Des larmes déferlent silencieusement le long de mes joues. Un vide hors de l’entendement se forme dans ma gorge alors que je tente d’hurler.

« Anna… »

Mais cet endroit n’est plus que l’empire du silence.

« Anna… »

Les pleurs, les hurlements lointains et les explosions trop proches sont de ce silence.

« Anna… Anna… »

« Anna… »

Anna ? Ouais ben c’est Ronan… J’parie que tu t’es encore endormie devant la télé… en tout cas je t’appelais pour te dire que je rentrerais vers 14h, je vais manger avec Julien et Karima. Je voulais savoir si tu voulais venir mais bon, tu m’as l’air un peu déconnectée pour le moment donc à plus, hein !... Je t’aime… à cette aprèm !

Il rangea le cellulaire dernier cri dans la poche de sa chemise blanche et se retourna vers Julien. Son meilleur ami.

Elle nous snobe ? demanda-t-il en allumant une clope. Karima lui lança un regard en coin. Son avis concernant la cigarette était de notoriété publique.

Ronan se souvenait du dernier nouvel an à l’appart de Claire. Il faisait un froid épouvantable mais Karima avait obligé son petit ami à fumer sur la terrasse pour ne pas les enfumer. Et ça sous la menace de le priver de sa « bouillotte personnelle » durant un mois. Julien avait sans doute tiré ce soir-là la clope la plus courte de sa vie.

Vous voulez allez où ? questionna Ronan.

Y a un resto sympa à Montmartre, et autant y aller à pieds, c’est tout proche.

Si tu nous emmènes encore dans un de ces restos pour lapins… menaça Julien.

Un resto pour lapins ? s’étonna Karima. Misère, j’espère que celui-ci te rendra la carotte car c’est plutôt la banane molle que tu me sers, habituellement…

Touché…

Vous voulez sans doute être seuls ? ricana Ronan en commençant à gravir les marches de Montmartre inhabituellement surpeuplées.

Les deux attaques « Eiffel » comme les résumaient les journaux avaient eu un effet étrange sur le tourisme. Alors qu’il s’attendait à voir des milliers de Parisiens déménager ainsi que des touristes éviter soigneusement la France comme destination, il était tombé de haut devant la situation actuelle.
Une foule démesurée se trouvait quasiment 24/24 sur les lieux pour photographier et examiner les ruines de la Tour Eiffel. Il trouvait cette obsession malsaine et incompréhensible. Qui peut donc porter un tel intérêt à ça ?

Naturellement… depuis la deuxième attaque encore inexpliquée, le périmètre était fermé au public en raison des centaines de corps qui s’y trouvaient encore.
Sombres idiots.
L’explosion de la Tour n’avait été qu’un leurre, une technique pour attirer le plus de monde… et naturellement, tout avait explosé lors du discours de Sarkozy.
Honnêtement, il ne savait pas quoi en penser. Pour lui, ces attaques terroristes ne différaient en rien de celles du World Trade Center ou de celles qui se déroulaient en Irak.

Anna, par contre, y était plus sensible.
Il la voyait sombrer dans la peur de jour en jour, se laissant matraquer par les médias et les récentes attaques…
Mais tout ça serait fini demain. Il avait décidé qu’ils passeraient quelques mois à la maison de campagne de ses parents, dans le sud. Ils seraient au calme le temps que la situation se clarifie.

Tu ne parles pas des masses, remarqua Julien derrière lui. Ça va ?

Hmm ? Ah ! ouais, ouais, je pensais juste à…

POUSSEZ-VOUS !!

Quelqu’un le bouscula brusquement et il faillit s’écraser dans les escaliers mais Karima l’attrapa in extremis. Le souffle coupé, il jeta un regard à la personne qui venait de le bousculer. La jeune femme avait déjà à moitié disparu dans la foule.

Que… ? commença Julien, mais un autre cri le coupa :

NINE !! NON, ATTENDS !!

Une autre fille passa à côté d’eux, escaladant les marches quatre à quatre.

Non mais oh ! s’exclama Julien en élevant la voix alors que la deuxième excitée disparaissait dans la foule. Ce n’est pas le marathon de New York ici !

Coup de feu.
La foule s’immobilisa soudain en poussant ce qui semblait être un seul et unique cri. Puis le silence. L’immobilité. Cette scène était surnaturelle.
Ronan, le cœur battant la chamade, regarda autour de lui. Julien avait attrapé l’épaule de Karima, ils semblaient pétrifiés.
Il continua de regarder autour de lui alors qu’un murmure glacé commençait à fondre sur la foule.
Et il la vit.

C’était celle qui avait tiré. Il en était sûr.
Sa vision ne dura qu’un instant. La femme avait bondi, fonçant à travers la foule avec une aisance féline déconcertante. Et pour la première fois aujourd’hui, il prit peur. Son cerveau fit le lien entre les deux jeunes femmes et cette blonde fatale.
Et alors qu’elle passait en courant à côté de lui, il lui attrapa stupidement le bras, l’empêchant de se lancer à la poursuite de ses cibles.

Ronan mais qu’est-ce que… ?

Shpack.
Il n’avait tourné la tête vers Karima qu’une seconde mais l’image qui suivit fut celle du talon de la femme qui s’écrasait contre sa mâchoire. Il sentit le goût du sang se répandre dans sa bouche.

Espèce de salope !

La salope en question le gratifia d’un sourire moqueur avant de faire volte-face et de franchir les dernières marches, s’élançant à toute vitesse vers le palais de Montmartre. Et sans savoir pourquoi, il se lança à sa poursuite.
Cette femme était dangereuse et il devait l’arrêter, d’une certaine manière, il sentait cette épée de Damoclès au-dessus de la tête des jeunes filles.
Bon, cette raison ne le satisfaisait pas et le sang qui coulait le long de son menton lui fit réaliser qu’il voulait surtout faire payer ça à cette femme. Ouais, c’était déjà plus réaliste.

Courant à toute vitesse à travers la foule, il suivait difficilement la blonde qui cavalait vraiment trop vite. Il ignora les cris de Julien et Karima derrière lui. Tant pis pour le resto des lapins.
Soudain, son souffle se coupa. Il s’écrasa à terre, maudissant la personne qu’il venait de percuter.

Putain de bordel de merde, vous regardez jamais où vous allez !?

La jeune femme se releva nerveusement en lançant des regards paniqués autour d’elle. Elle était blessée au bras. Des badauds commençaient à se rassembler autour d’eux.

Pitié aidez-moi ! s’exclama-t-elle en se tournant vers Ronan. Je… nous… sommes poursuivies, il nous faut une voiture !

Elle lui lança un regard désespéré. Mais avant qu’il ne puisse répondre, le temps s’accéléra.
Il entendit d’abord Julien.

Ronan ! Qu’est-ce que tu fous ?

Puis la jeune fille qui courait derrière l’autre dans les escaliers. Elle venait de surgir de la foule et se précipitait vers son amie. Il ne comprenait plus rien.

NINE BAISSE-TOI !! ALICE ! Elle est là !

Puis le bouquet final.

Genesis.

Le bruit fut titanesque.
Ses tympans hurlèrent un sifflement muet alors que ses jambes cédaient sous son poids. Il était devenu aveugle. Il n’y avait plus que ce nuage opaque et ces ombres qui disparaissaient dans des gerbes rougeâtres…
Un choc à la tête. Puis le noir.

« Anna… »

Il entendait de nouveau.
Des pleurs et des hurlements résonnaient désagréablement contre ses tympans défoncés par le vacarme qui avait précédé cette véritable avalanche. Il distingua la plainte d’une ambulance… ou d’un camion de pompiers… il n’avait jamais pu faire la différence…
Putain, ce qu’il avait mal à la tête !

Julien… ça va ?

Les mots venaient de sortir de sa bouche sans qu’il ne s’en rende compte. Bon, il n’était pas muet non plus. Juste aveugle. Merde.
Il tenta de se relever. Ses bras tremblaient violemment.
Et sortant de son handicap protecteur, il ouvrit les yeux.

Non…

Il faisait nuit… des phares jaunes, bleus et rouges perçaient l’épais mur de fumée…
Des silhouettes accompagnées de chiens se découpaient de ce décor brumeux. Macabres ombres chinoises…
Les ruines du palais de Montmartre se trouvaient partout autour de lui… écrasant le sol, écrasant les cadavres…

« Papa ! Non, non ! je vais bien ! Il y a eu un attentat ! Maman va bien, oui ! »

La respiration coupée, il tenta de ramper vers le lieu où Julien et Karima se trouvaient quelques secondes, minutes, heures, plus tôt.

« Mon dieu c’est horrible… j’arrive tout de suite. Non je ne raccroche pas, promis… »

Il poussa un hurlement alors que sa main se posait sur la tête glaciale d’un homme. Il pensa que quelqu’un repérerait cet hurlement, et que ce quelqu’un l’aiderait… mais en fait… il n’était qu’un hurlement parmi des centaines d’autres.

« Chéri, ils viennent de me mettre un bandage à l’épaule, c’est bon, j’arrive. Rassure Amy s’il te plait… »

Et il le vit.

« Je vais bien. »

Ainsi qu’elle.

« Ne vous en faites pas pour moi, je vais bien. »

Morts.

« Allô Anna ? »

« Je t’aime. »

« Anna ? »

« ANNA !! »

Il hurla, s’accrochant à la poignée de la porte. Ses jambes plus faibles et maigres que jamais s’écroulèrent. Il tomba face contre terre.
Sa barbe le piquait, la moquette de ce couloir le piquait. Chaque particule de son putain de corps le démangeait horriblement. Une explosion horriblement proche fit trembler l’immeuble.

Et il la vit.
Assise. Contre le mur. Terrorisée.
Elle était comme morte.
Il puisa dans ses dernières forces et s’assit à côté d’elle. Il se sentait déjà partir.
Et elle aussi. Anna était comme cette ville. Cette ville était comme lui.
Mourante. Pourrie.
Ronan jeta un regard à la fenêtre du couloir qui commençait à se fissurer.
Il attrapa la main d’Anna, sans la regarder.
Ils étaient deux morts.

Détonation.
La vitre explosa.

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[PS: ce texte s'inscrit de le contexte de l'Empire des Cieux, une fiction écrite par Wolfy, donc ça peut paraître légèrement confus pour les gens qui ne l'ont pas lue. Navrée
Encore merci, Donald pour cette superbe suite, ça m'a fait très plaisir.]

3 commentaires:

Finwë a dit…

La seule chose que je trouve à reprocher c'est le trop plein de métaphores tout début. Et encore, c'est un faible reproche. En somme je m'incline. Suite à ça je ne vois pas d'utilité à finir la version que j'avais commencé. ^_^° Toi et tes amis m'épatez.

Nine a dit…

Gaël, si tu ne finis pas la version que tu as entamé pour me la présenter, je risque de te crucifier ou pire, de te priver de séries télé.

Tu es prévenu.

Silver a dit…

Merci bien alors =) Mais franchement, c'est pas une raison pour pas poster de nouveau texte! Je veux voir les autres versions possibles. =D