samedi 14 novembre 2015

si vite / si lentement

On se souvient toujours de ce qu'on était en train de faire lorsqu'une horrible nouvelle nous a été annoncée.

Je me rappelle comme si c'était hier de ma cassette qui arrive à la fin de sa bande, du "clic" de mon baladeur pourri alors que j'arrive devant ma boîte aux lettres. De m'être dit "Oh, la flemme de remettre l'autre face de la cassette, je suis devant la porte" avant d'appuyer sur le bouton FM.
Puis les explications confuses : nuage de fumée, gens qui courent dans les rues, New York, avion détourné, ...
Je me souviens de mes pas faisant crisser les cailloux de la cour, de l'instant où j'ai compris qu'il se passait quelque chose. De mes mains qui galéraient un peu avec la clé du garage, de mon sac balancé à la va-vite sur le canapé pour allumer la télévision. Du deuxième avion qui entre dans la tour. Des journalistes sans voix. Des corps qui filent vers le sol, si vite et si lentement.

Je me souviens aussi du "Hey, t'as vu ce tweet ? Il se passe un truc chez Charlie Hebdo ?". Des nouvelles qui arrivent, tombant les unes derrière les autres sur cet écran qui me sert à surveiller le monde. Un écran que je suis payée à fixer. Du "Viens voir, ils ont allumé la télé en salle de presse... Il y a des morts...".
Des jours qui ont suivis, si vite et si lentement.

Alors je commence à les reconnaître, ces moments qui changent tout. Ces bouts de livres d'histoire que j'aurais vécus.

Comme cette voix qui s'élève au milieu d'une salle emplie de cliquetis de clavier. Qui arrive à percer à travers la musique diffusée par mes écouteurs. Et qui dit : "Oh... Vous avez vu, il y a une fusillade dans le 10ème !".
Et mon téléphone qui sonne immédiatement derrière : "Tu vas bien??? Paraît que ya une fusillade à république !!"
Et cette soirée de créativité qui devient immédiatement une soirée d'angoisse, à rassurer maman au téléphone, à envoyer des sms à tous mes amis, à m'inquiéter quand ils n'y répondent pas, à dérouler encore et encore cette timeline Twitter qui n'égrenne que des nouvelles de plus en plus tragiques. Du pire en pire en pire.
Être coincée là, par peur de sortir, parce qu'on est au milieu de la zone dangereuse et que bon "on ne sait pas". Penser aux gens dehors. Se dire qu'on est venue pour écrire et que de toutes manières on n'a rien de mieux à faire.
Ne pas trouver de mots.
Être fatiguée et vouloir rentrer. Avoir envie de dormir et peur de se réveiller.

Vivre une nuit dans l'Histoire. Une nuit qui passe si vite.
Mais surtout si lentement. 

[texte en direct du lieu de coworking où je suis toujours terrée, théoriquement pour avancer sur mon NaNoWriMo.
Restez chez vous et en sécurité.
Ne perdez pas espoir. Ne perdez pas confiance.]

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