dimanche 9 janvier 2011

12 janvier.



Aujourd'hui est le jour le plus triste de l'année. Nous sommes le 12 janvier.
Jour de deuil personnel, je prends chaque année un jour de congé le 12/01 afin de pouvoir me lamenter tout mon soûl.
Mais cette année, les choses vont changer.

Il y a quatre ans aujourd'hui, tu m'as quitté. Je suis rentré un soir pour trouver un appartement vidé d'une partie de son contenu, ta partie, et un mot sur la table de la cuisine disant que tu avais rencontré quelqu'un d'autre. Que tu me quittais. Que tout était fini.
En effet, tout était fini.
J'ai passé des mois à essayer de reconstruire ma vie à partir des ruines que tu m'avais laissé. Sans succès.
Et puis, j'ai fini par arrêter d'essayer.
Tout était fini.

Je me suis fixé dans une routine que je pouvais accomplir sans réfléchir. Sans penser. Sans me souvenir.
Travail du lundi au vendredi, courses et lessive le samedi, ménage en profondeur le dimanche. Et des heures d'un miraculeux sommeil sans rêves.

Mais aujourd'hui, mon deuil prend fin. Aujourd'hui, je me débarrasse de toi et je récupère ma vie. Aujourd'hui, mardi 12 janvier, j'ampute mon cœur.

Dit comme ça, la procédure semble barbare. Il s'agit en fait simplement d'une nouvelle technique permettant de couper les transmissions entre les souvenirs et les émotions. Je me rappellerai de tout, mais tes sourires ne me hanteront plus. Ils ne voudront plus rien dire.
Bien sûr, le risque est de perdre aussi toutes les émotions rattachées à d'autres souvenirs. Mais apparemment l'opération est assez précise pour cibler uniquement la zone concernée. Et puis quand bien même, le jeu en vaudrait la chandelle.

Il est donc 7h20 lorsque le taxi me dépose devant la clinique. Les analyses préliminaires ont déjà été faites. Je ressors ce soir à 22h30, libre de toi.
A l'accueil, la jeune femme prévient mon docteur et désigne une salle d'attente au bout du couloir. "Il viendra vous chercher dans quelques instants." Je ne suis plus à quelques minutes près. Traînant mon petit sac, j'ouvre la porte.
Et tu es là.
Assise sur une des chaises de la salle d'attente, tes yeux baignés de larmes fixés sur un magazine people.
Le bruit de la porte qui s'ouvre te fait lever le regard vers moi. Et pendant un instant, je m'attends à ce que tu ne me reconnaisses pas. Mais...
"Oh, Romain!"
Tu te précipites dans mes bras. J'en lâche mon sac, qui tombe au sol avec un bruit mat. Tu m'étreins comme si j'étais ton seul espoir de survie au milieu d'une mer déchainée. Tu pleures à chaudes larmes sur mon épaule, tâchant ma veste.
Et je reste là, mes bras enserrant ta taille. Immobile. Impassible. Confus. Est-ce que cette rencontre fait partie du traitement?
"Romain... Comment as-tu su que j'étais là?"
Visiblement non.
"Je ne le savais pas. Qu'est-ce que tu fais ici?"
Je suis étonné du calme de ma voix. De sa froideur, même.
"Je... Cédric m'a quittée. Il y a deux semaines. Ils ont un traitement ici pour... oublier. Ou ne plus ressentir. Je vais faire ça. Ça fait si mal, si tu savais..."
Oh mais je sais.
Je te repousse doucement. Tu me regardes avec ces grands yeux chocolat qui avaient le don de me faire céder à tous tes caprices. Ils ne fonctionnent plus, apparemment. Le charme est rompu.
"Je suis navré pour toi."
Tu ouvres la bouche pour me répondre quand tu es interrompue par la porte s'ouvrant à nouveau. Mon docteur entre, regardant une liste de noms.
"Monsieur Cartier? Êtes-vous prêt?"
Mon regard passe du docteur à toi. Tes joues sont maculées de larmes. Deux semaines sans lui et tu es prête à renoncer à vos souvenirs. A risquer la possibilité de ressentir, de souffrir, d'aimer. Pour toujours.
J'ai tenu quatre ans. Et maintenant que je te vois là, pathétique et reniflante, je me demande bien comment j'ai tenu aussi longtemps. Comment j'ai pu gâcher quatre années de ma vie à pleurer ta perte.
"Merci docteur, mais... En fait je ne vais pas avoir besoin de cette intervention, après tout."
Je récupère mon sac et me dirige vers la sortie. Derrière moi, tu gémis mon prénom, comme une question, tu es étonnée. Le docteur me crie que je ne serai pas remboursé pour l'opération.
Je m'en fiche.

Nous sommes le 12 janvier. Et je suis libre de toi.



[Le résultat de mon illumination tardive de l'autre soir. 
J'ai changé la fin au dernier moment, elle me plaît davantage comme ça.
J'espère que ça vous plaira aussi.]

4 commentaires:

Félix a dit…

J'a-dore, ça m'a rappelé (comme je disais) Eternal Sunshine Of The Spotless Mind.

J'aime énormément ce moment d'hésitation au moment où il la revoit.

Silver a dit…

Ah ben j'allais dire pareil que Félix, ça m'a fait penser à Eternal Sunshine !

Superbe ma Nine, le final est excellent, tu aurais pas pu trouver meilleure fin.

Nine a dit…

Comme dit à Félix sur msn, j'ai capté la référence à The Eternal Sunshine of the Spotless Mind uniquement quand j'avais fini le brouillon (qui s'arrêtait au moment où il entrait dans la salle d'attente). Du coup c'était un peu tard pour changer l'histoire ^^ Mais promis, c'était pas prévu pour être du plagiat.
Et merci pour les commentaires, vous aurez un cookie.

KyA a dit…

J'ai adoré ce texte !
On ne s'attend pas à la fin, et je trouve ça merveilleux =)

C'est toujours un plaisir de te lire !